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   Lorsque j’entrepris l’écriture de mon premier livre dédié aux Tamari’i Volontaires, mon ami John Martin, ancien du Bataillon du Pacifique m’avait indiqué que des Poilus Tahitiens devenus notables ou chefs de districts, dès l’annonce de l’armistice de juin 1940, avaient demandé audience au Gouverneur Chastenet de Gery. Le jeune John Martin avec quelques camarades d’enfance, suspendus aux grilles du gouvernorat avaient alors assisté à la tristesse de leurs aînés.
   Les larmes de certains Tavana (maires) les avaient tout particulièrement ému et motivera leur engagement au sein du corps expéditionnaire tahitien pour poursuivre la guerre aux côtés des armées alliées. J’avais alors rapidement pris conscience de l’importance de la Grande Guerre et de ses héros tahitiens pour la petite communauté insulaire des Établissements français de l’Océanie. Beaucoup de descendants de Poilus portaient le prénom d’un de leurs aînés qui avait combattu sur les fronts d’Europe et de Salonique.
   Ce prénom leur avait été donné pour perpétuer la mémoire d’un aîné qui n’était pas revenu ou tout simplement pour honorer leur haut engagement.
   Ainsi, l’aviateur Félix Lagarde du groupe de chasse Île de France avait hérité du prénom de son oncle Félix Lagarde décédé de blessures de guerre à l’hôpital maritime de Rochefort le 11 octobre 1918. Les engagés volontaires de 1941 avaient donc déjà pour eux l’histoire de leurs aînés. Leurs épopées leur étaient connues comme celles de Léonce Brault gazé à Verdun, père de Guy Brault, marin de la France libre sur le Cap des Palmes, de Clément Coppenrath, soldat dans les rangs du 54ème colonial sur le Front d’Orient, père de Monseigneur Michel, de Gérald et de Monseigneur Hubert. Le sergent Louis Graffe, fils du Poilu Louis Terai Manarii Graffe dit Loulou, sera sergent à Bir Hakeim.
   Le radio-mitrailleur Julien Allain a certainement écouté avec passion les récits de son oncle James Norman Hall, le légendaire aviateur américain de l’escadrille La Fayette et dévoré ses livres High Adventure et Les Faucons de France. Aussi les affres de la Der des Der leur étaient aussi connues.
   Ces anciens acteurs et témoins de cette guerre cruelle avaient tout fait pour dissuader leurs enfants de s’engager. Certains pères préconiseront à leur fils ou petit- ls de s’enrôler dans la marine pour s’exonérer de l’infanterie, chair à canon par excellence.
   Les recommandations de leurs parents ou de leurs aînés meurtris dans leur chair ne furent pas pour autant suivies et certains payeront de leur vie leur engagement. Or de la grande guerre, la mémoire polynésienne ne retient guère aujourd’hui que la citation du Bataillon mixte du Pacifique (BMP) engagé au sein de la X° Armée en octobre 1918 à Vesles-et-Caumont.

   Elle ignore ou méconnaît l’épopée des premiers conscrits ou volontaires tahitiens qui ont gagné le front de France dès la déclaration de guerre. Dès 1915, des natifs de Tahiti, collégiens ou étudiants sont incorporés et se battent dans les tranchées. La mémoire tahitienne occulte aussi les autres engagements dans les corps d’armée français et dans les rangs de l’Anzac comme les chasseurs alpins, les tirailleurs sénégalais, l’artillerie, les scaphandriers, les marins, le train et l’aviation.
   En 1916, une centaine de conscrits et de volontaires tahitiens versés dans l’Armée d’Orient sont dirigés sur Salonique, front qui reste encore absent de la mémoire collective nationale laquelle continue à privilégier les théâtres d’opérations de France, de la Marne, de la Somme et de Verdun. Or, c’est sur ce front d’Orient que l’offensive victorieuse des Alliés en septembre 1918 amène l’effondrement de la Triplice avec la demande d’armistice de la Bulgarie suivie de l’Autriche-Hongrie et enfin de l’Allemagne en novembre 1918.
Les jardiniers de Salonique ont payé un très lourd tribut à l’effort  de guerre sur les fronts macédonien et serbe. L’âpreté des combats conjuguée à la rigueur du climat, été comme hiver, les maladies et l’éloignement (les permissions sont très rares), font que les Poilus tahitiens d’Orient vont connaître malgré l’exotisme apparent de Salonique, une guerre des plus cruelles.
   Ainsi, le contingent parti de Nouméa le 3 décembre 1916 à son arrivée au dépôt du 22ème colonial à Cassis retrouve des soldats du contingent du 4 juin 1916. Beaucoup sont passés dans l’artillerie, le restant est allé à Salonique. Un des gradés qui était avec eux témoigne: Les tahitiens se sont battus comme des braves (de très braves soldats), malheureusement il y a eu quelques morts et beaucoup de blessés. Jean-Jacques Becker, doyen respecté des historiens français de la Première guerre mondiale notait dans la Revue historique des armées : Il n’y a pas de remarque plus sotte, ni plus fréquente, que de se demander ce que l’on peut bien encore écrire sur la Grande Guerre après que tant d’ouvrages, de films, de romans lui ont été consacrés. Les Poilus des Établissements français de l’Océanie ont fait ces dernières années l’objet de publications et de travaux universitaires sous les plumes de Philippe Mazelier avec Le Mémorial Polynésien, de Maire Sidolle, de Marie-Noëlle Fremy, de Corinne Raybaud et de Véronique de Mortillet.

   D’aucuns conviendront que l’on peut toujours écrire, développer, compléter ou raconter ce qui n’a pas été dit, et surtout que l’accès à des documentations inédites permet d’ouvrir de nouveaux chapitres. Des fonds familiaux sont par ailleurs restés inexplorés comme des documents d’archives publiques. Enfin, la commémoration du centenaire de la première guerre mondiale a permis, cent ans passés, l’accès et la consultation en ligne des livrets militaires des Poilus tahitiens conservés par les Archives nationales d’outre-mer d’Aix en Provence (A.N.O.M). Avec Tamari’i Volontaires, fasse donc que Poilus Tahitiens complète ce vaste chantier arrivé à son terme pour la mémoire des combattants tahitiens des deux guerres mondiales.

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