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Le droit à l’ironie la plus mordante. Merci Epeli Hau’ofa



Epeli Hau’ofa m’a donné bonne conscience. Je le subodorais, mais lui l’a démontré : un insulaire du Pacifique Sud peut se moquer de tout, de tous et de toutes. Dans un livre extraordinaire (Poutous sur le popotin, écrit en 1987 et traduit en 2012 par Au vent des îles), il fallait être anthropologue d’origine tongienne ayant enseigné à Fidji (donc un véritable océanien) pour oser un humour aussi ravageur.


Il s’en prend au christianisme dont les missionnaires n’étaient que des «maraudeurs», aux églises dites charismatiques et leur parler en langues et de l’utilisation du chiffre sept dont prêtres et pasteurs donnent une interprétation ésotérique. Il se moque de la soumission au chef dans les partis politiques océaniens, de l’alimentation des insulaires, des « Blancs » de Nouvelle-Zélande, d’Australie et d’ailleurs toujours suffisants et «coincés ».

Le plus surprenant est sa description loufoque de la médecine traditionnelle et des tradipraticiens. Certes, dans le roman, elle finit par triompher de la médecine savante, mais sur une acrobatie littéraire puisque ce sont finalement les poutous sur le popotin du personnage principal (Oilei) que disparaît la douleur atroce qui ravageait son « trou du c... » (selon la formule grossière répétée par l’auteur).


Par des phrases employées dans un contexte qui ne s’y prête apparemment pas, Epeli Hau’ofa explique que les insulaires évitent les hôpitaux, même les plus modernes, comme la peste (toute allusion à des faits locaux est, de ma part, involontaire mais bienvenue). Au travers d’un discours fumeux d’un tradipraticien, il s’en prend à la course aux armements nucléaires (le livre est écrit avant la fin de la guerre froide) et loue la politique antinucléaire de Wellington. Les universitaires ne sont pas épargnés avec « leur pet professoral ». C’est que le livre est rempli de grossièretés que j’hésiterai toujours à reproduire, sauf celle-ci : dans une classification des pets, il évoque « celui qu’on essaie d’étouffer pendant la messe ». Les rapports sexuels sont décrits – et ça change – avec des mots choisis, mais hilarants et la vie des couples océaniens est peinte avec une vérité pas toujours bonne à dire.


J’avais apprécié les petits ouvrages d’Epeli Hau’Ofa qui renouvelaient la conception qu’il fallait avoir de l’Océanie en abandonnant les images imposées par la colonisation. Ce que j’aime dans ce livre, c’est qu’en plus de se moquer de ce que les Occidentaux ont introduit en Océanie, l’auteur revendique le droit de se moquer qui serait une tradition que la christianisation a tenté de cacher, alors qu’elle est encore vivace et qu’elle ne demande qu’à se laisser libre cours… surtout lorsque les insulaires sont entre eux. Je m’y laisserai aller… sans toutefois utiliser le vocabulaire qui heurte encore un peu la féministe que je suis, mais qui a compris qu’il fallait parfois la manière forte pour décoincer nos semblables insulaires.

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